Parution mensuelle

No 717

SEPTEMBRE 2023

CINÉMA

MUSIQUE

COUP DE CRAYON D'OLÉ !

COUP DE CRAYON D'OLÉ !

OLÉ ! A VU

LA PEAU, SAISON 11
ÉTÉ 2020, À IMAGES.VENTENAC

Ventenac-en-Minervois

L'épiderme n'est jamais tout à fait anodin puisque par sa pigmentation et son grain, il caractérise l'être humain dans sa singularité à fleur de peau. Mais la tendance à hiérarchiser les individus, selon cet aspect, dans la logique esclavagiste et colonialiste encore prégnante du monde occidental, demeure à critiquer et à combattre, contre ses critères qui séparent, divisent, dans "cette prison identitaire" pour reprendre la formule significative de Frantz Fanon, Peau noire, masque blanc...
C'est à ce titre que les artistes dont les installations et les vidéos ont été choisies à Images.Ventenac, pour sa onzième saison, soit par leur engagement esthétique, soit par leur valeur documentaire, sont éclairants : chacun ose traverser les codes pour mieux s'en affranchir, et être libre avec sa peau, à son propre regard comme à celui des autres...
Ouvrant symboliquement cette exposition, l'image du "Free Baby Diago" de Kevin Cabaret et Kadia Dabo est interrogée dans sa signification idéologique. Elle dénonce le choix de l'eau Diago de faire figurer pour étiquette de produit dans ce village malien un bébé ouest-africain d'un blanc éclatant cerné de bleu, reflet à l'image hégémonique de cette couleur dans la production mondialisée...
Suivent alors des travaux photographiques, trois clichés datant de 2004 de Samuel Fosso, artiste camerounais, mettant en scène son corps noir, pour se jouer paradoxalement des traditions vestimentaires occidentales, associées habituellement à telle région ou tel pays. Également six photos datant de 1986 de Marc Pataut dans un combat contre l'Apartheid qui révèlent son propre ventre enduit de maquillage noir, qu'il lacère de ses mains encore blanches, pour mieux illustrer la violence faite sur d'autres corps, ceux des noirs en Afrique du Sud...
Un extrait hallucinant de film hollywoodien de comédie musicale de 1941, "Babes on Broadway" de Busby Berkeley nous invite alors par sa valeur documentaire à questionner les idées que véhiculent ces grosses productions dont l'usine à rêves est encore fertile, puisque nous pouvons y voir comment les acteurs Mickey Rooney, Judy Garland, les "black faces" aux grotesques maquillages de blancs en noirs servent d'amusement aux spectateurs, supposés blancs, de telle facétie...
Autre film, datant lui de 2010, par Michèle Magema, "The kiss of Narcisse", donne un éclairage poétique et mythologique, par sa référence à l'éphèbe antique : nous y voyons cette artiste née à Kinshasa, vêtue d'une robe blanche, embrasser, sur une partie de l'écran, des moulages de plâtre blanc de son propre visage en reflet, tandis qu'elle apparaît, sur une autre partie de l'écran, le visage partiellement peint en blanc, moment de mystère en noir et blanc, pour mieux abolir la discrimination par la couleur...
Autre montage vidéo, en deux écrans, datant de 1985, de Bruce Nauman, "Good boy, bad boy" joue des contrastes entre deux interprétations synchronisées de deux acteurs présentés côte à côte, l'un homme noir à la chemise blanche, l'autre femme blanche vêtue d'une robe verte, dont les variations de tonalités dans la répétition des mêmes phrases font résonner des changements de sens propices à une pensée toute en finesse sur les questions identitaires...
Autre vidéo encore, datant de 2001, celle de Sigalit Landau, "Barbed Hula", dans laquelle cette dernière pratique nue du hula hoop avec un cerceau en fil de fer barbelé sur une plage israélienne. Image presque insoutenable dont la force renvoie en profondeur à l'idée de frontière aux limites barbelées dont l'artiste porte les stigmates de la violence déshumanisante dans ses blessures sur la peau, et dont la mer en arrière-plan renvoie également à des rêves d'évasion...
Dernière vidéo, datant de 2011, celle de Lili Reynaud Dewar, "What a Pity You're an Architect", dont la citation du titre renvoie à la formule en trait d'esprit de Joséphine Baker lors de la rencontre sur un transatlantique de Le Corbusier, qui s'était grimé en danseur de Revue Nègre pour la séduire. Ainsi, l'artiste-plasticienne, le corps nu de peinture noire, danse au milieu de sculptures de chiffres emblématiques et de reflets de miroirs déformants, en hommage à son aînée, Joséphine Baker, cette icône de la lutte contre la ségrégation raciale, pour mieux amener à la réflexion sur l'exclusive présence des blancs dans les espaces prisés de la culture...
L'ensemble à la fois dense et divers de ces conjugaisons entre identités blanches ou noires suggèrent autant d'aspirations à briser les normes et à dépasser les frontières, dont les artistes en ce lieu réunis sont de véritables instigateurs de nos possibilités d'affranchissement, nous invitant en tant que témoins mais également qu'acteurs de notre propre histoire à risquer notre liberté, et qu'y a-t-il à y perdre si ce n'est à gagner à rester soi et ouvert aux autres, à essayer de tremper sa chemise, sans y laisser sa peau...
Une exposition d'une qualité majeure et d'un intérêt capital à découvrir, cet été, à Images.Ventenac, qui informe également sur son site de la programmation de conférences sur ces enjeux à la fois si singuliers et si universels...
A noter 2 conférences dans le cadre de l'exposition :
les 21 et 25/08 à 18h : "Une histoire des relations entre européens et africains" et "Les représentations réciproques des noirs et des blancs dans les arts" par Claire Grébille, conférencière nationale.
Entrée libre pour l'exposition, 10 euros par conférence.
Durée : une heure environ, avec projection et collation offerte.

Rémy Soual

http://www.images.ventenac.net